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lundi 13 juin 2022

[veille] Lorsque la Défense s'occupera (de nouveau) de "sécurité alimentaire"...

 

Lu sur Le Rubicon, revue en ligne d'analyse des questions internationales, le 31 mai 2022 



Extraits choisis.

Avec un focus historique intéressant pour dessiner des parallèles avec l'actuelle crise géopolitique ukrainienne ou les possibles réponses locales à trouver.

"L’alimentation : d’une donnée militaire stratégique à une approche humanitaire centrée sur l’individu

Durant les deux guerres mondiales, nourrir les troupes dans un contexte de fortes perturbations des échanges mondiaux se révéla une gageure pour la puissance montante américaine. La réponse fut locale et citoyenne, par l’incitation des individus à cultiver leur propre potager, laissant la production de l’industrie agroalimentaire à disposition de l’effort de guerre. Ces « victory gardens » tenus par 20 millions d’Américains représentèrent jusqu’à 40% des récoltes nationales. Du côté allemand, la même problématique était au cœur de l’opération Barbarossa, au sein de la vision stratégique plus large du Lebensraum nazi. L’un des objectifs de l’opération consistait à contrôler les vastes plaines d’Europe de l’Est pour en faire le grenier à blé du IIIe Reich. Conscientes que l’accaparement des récoltes provoquerait une famine de grande ampleur, les autorités nazies conçurent le plan « Hunger » signé par Herman Goering pour tirer le meilleur parti de la production locale, ce qui selon les prévisions aboutirait à la mort de 20 à 30 millions de Slaves. Ce plan fut d’ailleurs la principale accusation retenue contre son signataire lors du procès de Nuremberg. L’affrontement extrême des volontés étatiques sur le sol européen a conduit inévitablement la ressource alimentaire à constituer un des enjeux stratégiques de la victoire."


Avec ensuite un coup de projecteur sur l'interdépendance actuelle de nos systèmes d'alimentation, et notamment pour les ressources naturelles importantes pour la fertilisation de nos sols, à commencer par le pétrole (pour les engrais de synthèse).


"Un nécessaire retour de la souveraineté alimentaire face à l’accélération des menaces systémiques

Pourtant, le XXIe siècle pourrait être celui d’un retour de la question alimentaire sur le devant de la scène stratégique. En effet, les systèmes alimentaires mondiaux pourraient faire face à des chocs de grande ampleur dans les années à venir. L’exemple ukrainien illustre actuellement et brutalement la fragilité du système alimentaire mondial. Cette crise de nature géopolitique impacte directement la production (menaces principalement sur les récoltes de blé, de maïs et de tournesol liées notamment à la difficulté d’acheminement des semences) et la distribution (ports de la mer Noire bloqués, blocus économique de fait par la Russie), à la fois des matières premières alimentaires, mais aussi des intrants. La Russie est le premier exportateur mondial d’ammonitrates engrais clé pour le maintien des rendements et la France importe environ 30% de ses engrais azotés principalement de Belgique et de Lituanie où ils sont synthétisés en grande partir avec du gaz russe. Si un évènement climatique venait à impacter les récoltes estivales dans une autre région du monde, une crise majeure pourrait toucher le système alimentaire mondial, alimentant crises intérieures, conflits régionaux et compétition entre grandes puissances pour l’accès à la nourriture.

Ces chocs pourraient venir tout d’abord de la raréfaction de certaines ressources naturelles, au premier rang desquelles le pétrole. En effet, les études estiment qu’aujourd’hui il faut sept calories d’énergie fossile pour produire une calorie de nourriture consommable. Cet état de fait conduit à une corrélation intime entre prix de la nourriture et prix de l’énergie."


Avec un propos très intéressant sur les chocs à venir, inévitables, liés à notre système alimentaire presque totalement mondialisé [merci les paysans qui représentent encore 80% de la production mondiale], les politiques territoriales sont indispensables pour contrer ces risques majeurs...


"À ces questions d’accessibilité des ressources s’ajoute le changement climatique. La décarbonation des systèmes alimentaires est d’ores et déjà engagée au sein de l’Union européenne à travers la stratégie « From Farm to Fork », mais son opérationnalisation pause déjà question. Une étude interne de la Commission européenne envisage même une baisse drastique de la production alimentaire. L’adaptation au changement climatique, plus largement, pourrait déséquilibrer les systèmes alimentaires, et produire des chocs de production. À ces déséquilibres s’ajouteront les évènements climatiques extrêmes, dont la fréquence et l’intensité pourraient fortement augmenter, d’après les travaux du deuxième groupe de travail du GIEC dans son dernier rapport. La vague de chaleur en Inde en mai 2022 en est un exemple frappant.

Dans un système alimentaire mondialisé, fondé sur des interdépendances liées à la spécialisation des territoires, et une chaîne logistique complexe donc source de goulets d’étranglement, les chocs à venir pourraient se trouver amplifiés et distribués. Les crises seront assurément mondiales, causées par la concomitance de chocs tels qu’évoqués ci-dessus, et alimentés par la compétition géostratégique entre puissances. C’est pour cette raison que l’alimentation tend à redevenir un enjeu stratégique de défense et de sécurité nationale dans des pays occidentaux ayant perdu de vue ces notions depuis l’industrialisation de leurs agricultures dans la deuxième moitié du XXe siècle."


Enfin, la crise pandémique a pointé également le besoin de "souveraineté alimentaire" pour protéger les populations en cas de tensions (et priorités données) entre Etats.


"La crise de la Covid-19 a ainsi démontré la nécessité pour les États de réinvestir leur souveraineté, notamment dans le domaine de l’alimentation. La souveraineté alimentaire s’entend ici à l’aune de la définition proposée par l’Institut Montaigne selon deux périmètres : un noyau garantissant la sécurité alimentaire et une enveloppe aux contours plus volatiles, définie par les préférences collectives. Cette démarche pourrait utilement passer par un retour des acteurs de la sécurité et de la défense dans le débat stratégique. En effet, face à ce type de crise, trois responsabilités majeures leur sont dévolues.

Les auteurs voient cet investissement au prisme de trois des cinq fonctions stratégiques de la défense : protection-résilience, intervention et prévention."


Il me semble que cette phrase ci-dessous est également intéressante, par la façon dont le secteur de la Défense pourrait être amené à se positionner les années prochaines.


Pour un continuum sur les stratégies alimentaires

Alors que la guerre en Ukraine ravive brutalement le lien stratégique entre alimentation et sécurité nationale, il est primordial d’inscrire cette réflexion dans un périmètre plus large d’accélération des crises systémiques, favorisant l’exploitation par les potentiels compétiteurs des fragilités de l’adversaire

Le retour d’une certaine forme de « souveraineté nécessaire » est déjà en cours dans le secteur alimentaire avec de nombreuses initiatives liées aux conséquences de la crise sanitaire mondiale du Covid-19. Ainsi, la Commission européenne s’est d’ores et déjà engagée à renforcer la souveraineté alimentaire européenne par un plan d’urgence et les débats autour de la révision de la politique agricole commune prévue pour janvier 2023 sont vigoureux. 

« Nous sommes en train d’entrer dans une crise alimentaire sans précédent », a déclaré le président Emmanuel Macron au sommet du G7 le 23 mars dernier.


A une compétition accrue autour des ressources vitales entre Etats, une coopération plus intense pourrait s'inventer entre des territoires de vies, pour imaginer des échanges plus favorables à chacun.

Je pense notamment à ces pays agricoles représentatifs des politiques étatiques des dernières décennies, là où la spécialisation et la concentration (industrielle) est souvent à l’œuvre (comme en Beauce ou en Bretagne), demandant à revoir leurs copies, là où la polyculture et l'élevage diversifié ainsi que la polycentralité des fermes sont encore majoritaire (comme en Drôme ou en Creuse), les équilibres sont plus faciles à sauvegarder...


Un article complet à retrouver ici.


_Une veille partagée par Alexis

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