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vendredi 29 octobre 2021

[veille] La Résidence d'INCO pour "sauver" le rural dans les Pyrénées

 

Article réalisé dans le cadre d'une recherche exploratoire initiée début 2020 sur les nouveaux lieux pour faire école des territoires, avec la complicité des chercheurs Jean-Marc Lange et Maryvonne Dussaux. 

Un pôle dédié au sein de Prima Terra existe également, à retrouver ici.

 

 Dans le cadre de notre veille sur les lieux qui veulent "sauver" nos campagnes par l'entrepreneuriat Tech, en voici un qui me semblent intéressant à plus d'un titre.

Il s'agit de La Résidence.

Couverture du site web de la Résidence (07.10.2021)


Se présentant comme "l'incubateur des start-ups de la ruralité", il est implanté au pied des Pyrénées, dans la commune de Saint-Bertrand-de-Comminges. Dans ce village de 242 habitants (INSEE de 2018) de Haute-Garonne, possédant une altitude oscillant entre 421 et 1 016 mètres, est arrivé en 2020 cet incubateur.

Porté par le Groupe INCO - groupe mondial qui, je cite, "construit une nouvelle économie, écologique et solidaire dans 50 pays", en investissant des entreprises innovantes, futurs leaders de cette économie, via de la formation et de l'accompagnement vers l'emploi.


Dans ce lieu occitan, 4 thématiques sont accueillies, selon une logique d'appels à projets.

Cela laisse à penser que pour les porteurs de projets, les candidatures sous forme de remplissage de dossiers seront là aussi indispensables, tout comme ceux pour avoir accès à des soutiens publics... La culture de l'administratif et de la mise en concurrence, quand tu nous tiens...

Extrait du site web La Résidence (07.10.2021)


Ce qui est intéressant, c'est de voir que le dispositif est financé par de nombreuses institutions publiques (Union Européenne via le FEDER, la Préfecture,la Région Occitanie, le Pays, le Conseil Départemental, la Communauté de Communes, la Commune) et privées (La Tribune), tout comme soutenus par plusieurs partenaires, dont la Chambre d'Agriculture, InSite, CER France ou La Start'up est dans le pré.


Durant 2 mois d'accompagnement sur place, les porteurs de projets vont avoir accès à :

  • des formations et ateliers pour prototyper une solution
  • un accès à l'écosystème local pour expérimenter la solution
  • hébergement sur place


Ce qui est intéressant, au-delà des discours, c'est de voir les projets qui sont incubés ici...

Comme on le visionne dans la vidéo de présentation (à retrouver ici), les porteurs de projets semblent ne pas avoir conscience des limites écologiques de leurs initiatives. 

En effet, pour l'un (et il sera notre point d'appui factuel pour cet article), au niveau d'1 minute 40, s'est "intéressé à des métiers oubliés" comme ceux d'éleveur ou de boucher... On en viendrait à penser que ces métiers d'artisanat ne sont plus présents en France... 

Par ailleurs, il propose pour cela de créer une application mobile pour "aider ces derniers à toucher une clientèle plus variée et plus lointaine" afin ce que "le consommateur puisse mieux manger et mieux consommer". 

Il faudra donc m'expliquer comment le consommateur peut mieux manger et acheter en s'approvisionnant auprès de producteurs et transformateurs lointains, et non pas en travaillant avec les artisans et paysans qui se trouvent au plus proche de lui... 

Là aussi, on peut se poser la question de la "maturité écologique" de ces projets économiques, qui n'a clairement pas atteint le paradigme de cet incubateur et les professionnels sensés accompagner. 

Nous pouvons également nous poser la question de la pertinence des politiques publiques soutenant ces schémas économiques... A ce sujet, la présidente de la Région ne semble pas l'exposer comme une préoccupation, contrairement à l'idée que c'est une illustration pour "prouver que l'innovation n'est pas réservée aux territoires urbains, aux grandes villes".


"Le projet de la Région est de soutenir financièrement le fonctionnement de la Résidence géré par INCO, être partenaire sur l'élaboration du projet de la prochaine promotion, et également accompagner toutes les entités hébergées dans la Résidence"

Carole Delga, présidente de la Région Occitanie


Ce qui est curieux, c'est le positionnement d'un acteur public dans un dispositif privé qui est géré par le même opérateur privé. En effet, INCO se présente sur le site web de l'incubateur, comme "un catalyseur mondial de la nouvelle économie", qui entraîne, favorise l'accélération de croissance et investit dans ces entreprises, incubées par ses soins.

 

Extrait du site web La Résidence (07.10.2021)


Ainsi, les acteurs publics financeurs se retrouvent à soutenir matériellement et financer l'animation de ce lieu d'incubation privé qui fera ensuite les choux gras de ces mêmes acteurs privés lors de la capitalisation sur les éventuelles plus-values...


Ainsi, les acteurs publics financeurs se retrouvent à financer l'animation de ce lieu d'incubation privé qui fera ensuite les choux gras de ces mêmes acteurs privés...


Par ailleurs, le lieu s'inscrit, d'après la communication, dans un vaste réseau mondial pour connecter les lieux et projets d'entrepreneuriat capitalistique dans l'économie circulaire.

Il va sans dire qu'il semble souhaiter ici de relier les territoires "éloignés de l'innovation" du reste du monde occidental moderne, et donc ainsi de faire des espaces ruraux des lieux de villégiature pour entamer la transformation économique à venir...

Extrait du site web de la Résidence (07.10.2021)

Cela revient donc à imaginer les possibilités pour les projets économiques validés de partir ensuite de ces territoires d'incubation pour aller chercher ensuite des capitaux, des équipements et un milieu social et cognitif plus adaptés à l'accélération de leurs croissances, pour devenir à terme selon l'imaginaire dominant des "licornes" à plus d'un milliard de dollars de valorisation...

 

"Accueillir deux mois les projets innovants dans la ruralité pour les accueillir demain dans des villes-mondes plus adaptées à leur croissance capitalistique et technologique"

 

Il va sans dire que ce projet Public-Privé ne semble pas avoir choisi l'imaginaire du local-monde comme vision politique de l'économie pour entamer une transition économique en Occitanie, mais bien davantage celle de l'économie de la Ville-Monde (cf. l'article sur le sujet).


"Le capitalisme d'intérêt général", pour reprendre le livre du fondateur du Groupe SOS semble avoir encore de belles années devant lui, et la technologie doit nous le permettre semble-t-il... tout comme l'action publique et les territoires auront encore de tristes années devant eux, à subventionner des projets hors-sol... ou tout du moins de passage sur leurs sols.


En conséquence, il me semble important d'indiquer, et de rappeler, que l'innovation comme elle est imaginée ici n'est pas, selon nous, la bonne interprétation. En effet, ici, l'innovation est déconcentrée momentanément pour la relier et l'installer demain à nouveau dans ces aires urbaines plus propices à l'hyper-croissance espérée

Dans notre cas, l'innovation territoriale ne doit pas détrousser les compétences et les idées des territoires mais bien se mettre au service d'une qualité de vie pérenne sur ces derniers. Il est donc du devoir des acteurs impliqués, publics comme privés, de favoriser l'ancrage, l'interdépendance et la réciprocité de la Valeur produite, de manière à éviter de nouvelles vagues de délocalisation, hier de l'outil industriel, demain du capital cognitif...


"Eviter de nouvelles vagues de délocalisation, hier de l'outil industriel, demain du capital cognitif"


_Un billet d'humeur d'Alexis

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