Gaël Giraud, à la fois mathématicien, économiste, écologue, théologien et... prêtre jésuite, que nous avions déjà décrypté dans un précédent article, s'offre un nouvel entretien, et cette fois-ci dans la revue en ligne LADN.eu.
Extraits choisis.
Tout d'abord un focus sur le mal économique de notre siècle...
"Le libéralisme, né au XVIIIème siècle, s’articule autour de trois grandes idées.
La première : on coupe la tête du roi. Cela signifie que le lieu du pouvoir est désormais vide.
Après la Révolution française, ce n'est plus le corps du roi qui incarne l'unité de la nation et donc le fondement du pouvoir. Devient alors possible un débat démocratique, qui est une discussion, une dispute, un compromis ininterrompu sur la manière dont nous voulons vivre ensemble et construire les institutions qui remplaceront le corps du roi.
Deuxième acte fondamental : l'institution de l'État de droit. Ce n’est plus la loi du plus fort, la tradition ou la religion qui règlent les rapports sociaux, mais la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Enfin, les libéraux du xviiie siècle, qui sont des bourgeois, sacralisent la propriété privée afin de donner une chair sociale, économique, à la démocratie adossée au droit."
Puis une proposition de dépasser le terme de néolibéralisme pour le "postlibéralisme".
« Néolibéralisme » induit en erreur parce qu'il laisse penser que nous serions dans un système qui prolonge, en le radicalisant, le libéralisme des Lumières. Or ce n’est pas du tout ça. Ceux que l'on appelle à tort les « néolibéraux », et que j'appelle donc des « postlibéraux », ont littéralement largué les amarres de l'héritage libéral.
En développant sa réflexion sur le sujet...
"Oui, car les postlibéraux sont parvenus en premier lieu à resacraliser le pouvoir. Qu’a-t-on mis à la place du roi aujourd’hui ? Les marchés financiers, qui sont réputés omniscients, omnipotents et, c’est évidemment faux, bienveillants. Les marchés financiers ont en effet un droit de regard sur toute chose. Ils sont au-dessus des États et jugent leurs politiques publiques en fixant le prix auquel un État peut s’endetter. Ils se substituent ainsi au débat démocratique. Car, à la différence de la conversation démocratique, vous serez sanctionné sur les marchés financiers si vous ne votez pas pour le « vainqueur ». Si vous achetez un actif dont le reste de la sphère financière estime qu’il ne vaut rien, vous perdez. D’où la grégarité des marchés.
De même, le postlibéralisme a assujetti l'exercice du droit à la défense des intérêts privés d'une toute petite minorité, contre l'intérêt général. C’est dans ces conditions que la propriété privée a été absolutisée.
Le postlibéralisme, c’est avant tout une entreprise de privatisation du monde.
Tout y est transformé en capital : le corps des femmes, les écosystèmes naturels, notre intelligence collective... Dans une sorte de transsubstantiation perverse, tout est réduit au statut d’une marchandise supposée rapporter des revenus futurs, que l’on est capable d'actualiser et de calculer, fermant ainsi l’avenir à toute créativité. Et ça, ça n'a plus rien à voir avec l'héritage libéral. Face à cette privatisation du monde lourde de dangers, il s’agit donc d’inventer une deuxième modernité."
L'auteur propose ainsi de construire cette nouvelle modernité.
"Il s’agit d’abord de désacraliser à nouveau le pouvoir. Et donc de réglementer les marchés financiers sans aucun état d’âme. De restaurer l’État de droit.
Et de passer de l’absolutisation de la propriété privée à l’économie des communs. Une « modernité 2.0 » ferait donc de la pratique du commun la chair sociale de son système démocratique."
Avec une construction socio-économique autour de ces "communs".
"Les biens communs se distinguent des biens privés, bien sûr, puisque toute la communauté a accès aux ressources qui sont partagées : ça peut aussi bien être les poissons dans un étang des forêts guinéennes que la gestion du réseau Internet.
Mais le commun, ce n’est pas non plus un bien public, car ses règles de fonctionnement ne s’imposent pas de manière universelle et verticale à la manière de la loi d’État.
Au contraire, un commun, ce sont avant tout les règles particulières sur lesquelles une communauté s’est mise d’accord. Et qui vont être, pour les usagers de ce commun, l’objet d’une interprétation constante."
Un article complet à retrouver ici.
_Un décryptage partagé par Alexis
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