Article du
10 octobre 2019 par Alexis Durand Jeanson
Tiers-lieux. Le terme résonne fortement depuis notre
première cartographie des typologies réalisée en 2014 et publiée sur wikipedia
en 2015.
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La cartographie à l'origine, rendue publique en 2015 |
Tiers-lieux. Un terme né dans la tête d’un chercheur
urbaniste américain, Ray Oldenburg, en 1991, pour parler à l’origine de ces
espaces urbains à l’interface entre ceux dédiés à la fonction Travail et ceux
dédiés à la fonction intime du Logement.
Tiers-lieux. Une notion qui fera écho au terme de « non-lieu »
de Marc Augé (diffusé à partir de 1992) puis par la proposition du terme « tiers-espace » par Jean Viard (1990), appuyé depuis par les recherches de Martin Vanier en 2013 et aux travaux du LISRA et d’un de
ses chercheurs pionniers, Hugues Bazin (à partir de 2013), qui publieront sur les possibilités qu'offrent cette notion,
favorable à une « architecture fluide » propre à déployer des
modalités et conditions pratiques pour la recherche-action et l'innovation, qu'elle soit sociale ou territoriale.
Tiers-lieux. Une ode au « tiers-paysage » diffusé
largement par Gilles Clément et son manifeste du même nom en 2004, à partir de
son concept de « jardin planétaire » comme un « fragment
indécidé, et constitué de l’ensemble des lieux délaissés par l’homme ». Il
sera ensuite abondé par de nombreux écrits et projets portés par des artistes
comme Camille They et son « jardin éco-poétique », illustrant ainsi
les tiers-jardins au quotidien, comme des ilots de résistance sensible, où
règne biodiversité artistique et végétale.
Tiers-lieux. Des configurations propres à repolitiser l’Espace, notamment du Travail, d’après Antoine Burret (cf. sa thèse en 2017), à participer de la construction
de dynamiques socio-spatiales pour le Libre et l’Open Source (cf. les travaux
de Tilios avec le wiki movilab et de son représentant le plus emblématique,
Yoan Duriaux), à l’analyse fine sur le mouvement des « makers »
exploré par Michel Lallement (cf. son
livre « L’âge du faire, hacking, travail, anarchie » paru en 2015) ou
encore à s’opposer ou tout du moins à se définir au regard des « hyper
lieux » de Michel Lussault (cf. son livre de 2017).
Tiers-lieux. Un espace propre à illustrer de façon concrète
ce que peuvent être les communs du nouveau siècle, à la fois numérique,
spatiaux, sociaux, de connaissance (cf. les travaux de Bretagne Créative
notamment et d’un chercheur dynamique sur le sujet, Michel Briand).
Tiers-lieux. Educatifs, pédagogiques, « apprenants ».
Des espaces dédiés à l’apprentissage tout au long de la vie, à l’éducation
permanente comme dirait nos amis belges, au profit de l’encapacitation et donc
de l’autonomisation de ses usagers (cf. les actions du Centre Michel Serres
Nantes et de sa directrice, Florence Bazzoli).
Tiers-lieux. Usages, usagers, assistance à maîtrise d’usage.
De nouveaux métiers émergent, se structurent, s’étoffent, où la facilitation, l’animation
communautaire et l’encapacitation sont certainement
les fils directeurs. On y trouve les métiers de « concierge dictateur
bienveillant », de « facilitateur d’intelligence collective »,
de « fabmanager » et de « happy
officer » en phases d’exploitation de l’espace, ou encore « d’assistance
à maîtrise d’usage » lorsque l’on arrive en phase amont, lors de la
conception (cf. l'observatoire AMU Occitanie et le livre blanc du réseau AMU France publié en 2019).
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Cartographie réinterprétée et amendée pour l'expérience "Fork the world" à l'occasion de la Biennale Internationale de Design de Saint Etienne en 2017 |
Ainsi, suite à une demande exponentielle depuis 2015 pour
employer, partager et travailler à l’aide de notre cartographie des espaces
hybrides, voici venu le temps d’un article permettant de faire le point sur ses
composantes analytiques.
Des espaces hybrides, d’entre-deux, de la micro-utopie concrète au kolkhoze
fordiste
Réalisée à l’époque dans le cadre de l’Institut du Design
Territorial créé à Nantes en 2014 avec l’outil en ligne Obsidienne, carnet de
notes de recherche ouvert à tous, la cartographie s’est enrichie d’année en
année d’éléments complémentaires permettant de déclarer qu’elle se base sur l’analyse
de plus de 1 000 lieux observés en France et dans le monde francophone.
Elle repose néanmoins toujours sur 4 enjeux clés et un transversal.
Explications.
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Cartographie des espaces hybrides dans sa dernière version, toujours en bêta, réalisée par Prima Terra publiée en 2018 |
Tout d’abord, il faut saisir que les enjeux ne sont pas
opposables à première vue dans les tiers-lieux, ces derniers pouvant être
amenés à porter en leur sein l’ensemble des composantes. C’est particulièrement
le cas d’un certain nombre d’espace de coworking comme ceux labellisés par
Relais d’entreprise ou encore par les médiathèques type troisième lieu.
Cependant, chaque lieu étant unique de par son implantation géographique, son
territoire, la culture locale qui l’infuse que cette cartographie doit être lue
comme un outil d’aide à l’analyse et à la décision.
- En haut, l’enjeu
sociétal se situe face à l’enjeu du bas, l’enjeu entrepreneurial.
Nous avons pu constater que les lieux qui
portaient en eux le projet de participer de la transformation de la société avaient
souvent un plus faible intérêt à investir le champ de l’entrepreneuriat, sans
pour autant provoquer une absence de qualité d’entreprenance, propre à la
majorité de ces lieux.
- A gauche, l’enjeu des biens communs, semble faire se distinguer de l’enjeu de marchandisation qui se trouve à droite,
l’un demandant la réalisation d’actions au profit de la Connaissance au profit
de tous, le second donnant lieu à la production de services, biens et
connaissances au profit de quelques-uns.
On observe malgré tout une très forte
hybridation entre ces deux composantes, souvent liées à l’obligation d’équilibre
économique de ces lieux, avec des modèles de partenariat public – privé voire
populations également.
- Enfin, l’enjeu transversal de la gouvernance a été placé, renvoyant
aux quatre enjeux précédents.
En effet, nous observons lieu après lieu que
la question du gouvernement politique et stratégique et de la gestion sociale,
juridique et opérationnelle avaient une influence conséquente sur la manière
dont ces lieux peuvent porter, ou non, les quatre enjeux dans leurs projets.
Ensuite, nous avons souhaité indiqué des éléments propres
distinguant les typologies de lieux les uns des autres. Ainsi, les ZAD vont intrinsèquement
exister sur la base d’une lutte communautaire, alors que, à l’opposé, les
fablabs intégrés, implantés dans les entreprises, notamment industrielles, vont
se distinguer par l’intrapreneuriat, l’innovation de rupture et le choix de
cultiver une attractivité d’employeur.
Le tiers-lieu, un objet transitoire pour entrevoir la nouvelle société
aux contours encore flous
Ainsi, le tiers-lieu, est aujourd’hui un objet socio-spatial pouvant à la fois
exprimer l’idée d’émergence porté par une minorité tout comme celle de
transition, avec les communautés intentionnelles pour dire comme les Québécois,
les habitats participatifs ou encore les fablabs de quartiers, mais aussi d’expérimentation,
de diffusion et d’acceptation de nouveautés, technologiques, managériales ou
sociales, avec les espaces de travail partagés, les média labs ou les living
labs.
Nous avons ainsi développé des cartographies du processus
métier d’initiateur et animateur de tiers-lieu, les modalités pour l’apprenance,
le processus pour forger une communauté, etc. que nous mettons à disposition de
nos clients et partenaires.
Cela n’est donc pas terminé, ce monde n’est pas encore
totalement stabilisé, institutionnalisé et normalisé (cf. cet article) …
Rendez-vous donc pour la suite des explorations dans les nouveaux
territoires !