Lu sur Front Populaire le 12 avril 2022
"Ce que j’appelle le génie populaire n’est pas à prendre au sens moderne du génie individuel, mais plutôt au sens étymologique du mot génie : « gens ».
Ce qui enracine une communauté dans une religion commune, ce qui la « relie » (religare) à l’autre. C’est à partir de cela qu’il y a un esprit du lieu, un mythe commun animant un groupe humain, rassemblant son énergie.
En ce sens, le « génie » populaire est cause et effet d’un enracinement dynamique. Et je dis que le dieu de l’époque postmoderne n’est plus Apollon ou Prométhée, mais Dionysos.
Un dieu chtonien, un dieu ambigu, un dieu de l’effervescence"
Un passage me semble intéressant pour concevoir ce que sont peut-être l'expression de ces "utopies interstitielles" que sont les "tiers-lieux", les habitats participatifs, les oasis colibris, les "nouvelles communes libres"...
FP : Vous avez beaucoup utilisé la locution latine « secessio plebis » pour mettre en avant la rupture du peuple par rapport à une élite jugée illégitime. Comment cette secessio plebis se manifeste-t-elle aujourd’hui ?
MM : Il y a longtemps que j’utilise l’exemple historique et métaphorique de ce peuple romain qui, quand les décisions du Sénat ne lui convenaient plus, se retirait sur l’Aventin, bloquant ainsi toute vie dans la cité. Pour les faire revenir, il fallait que les sénateurs envoyés comme émissaires leur racontent une histoire, revigorent le mythe en quelque sorte. Les phénomènes d’abstention que je pointe depuis longtemps, mais aussi la déshérence des partis et des syndicats, le désintérêt pour les débats politiques qui ne font plus audience, sauf sous forme spectaculaire, sont des formes brutes de cette secessio plebis.
Mais de manière plus diffuse, il faut aussi noter que les solidarités, les rassemblements collectifs, les formes d’échange et de partage quittent les modèles politique et même institutionnels pour prendre des formes plus brèves, plus spontanées, plus occasionnelles. Les rassemblements plutôt que les manifestations organisées, les « flash mob », les émeutes soudaines, voilà autant de modes de protestations qui rompent avec le rite institué du conflit politique. Il faut aussi parler bien sûr des Gilets jaunes et de leur absence revendiquée de programme et de leader, ainsi que des nombreuses manifestations anti-pass et autres. J’y ajouterai ce que j’ai appelé des « utopies interstitielles », des manières de vivre de nouvelles formes d’être ensemble, plus locales, plus spontanées, plus éphémères sans doute.
Avec une réflexion intéressante sur le fait que la vie sociale serait devenue "une abstraction", suite à "l'autonomisation technicienne".
FP : Vous expliquez dans votre livre qu’à force d’autonomisation technicienne du politique, la chose publique « a pris un caractère d’extériorité », que la vie sociale est devenue une abstraction. Qu’entendez-vous par là ?
MM : Je fais depuis mes premiers livres une différence entre le social et le sociétal. Le social réduit les relations entre individus à des liens rationnels, matériels, juridiques. Le sociétal prend en compte l’entièreté de l’être, les sentiments, les émotions autant que le rationnel. La modernité dont nos politiques sont encore les représentants, attachés à leurs privilèges, repose sur ce lien social réduit à une rationalité juridico-économique – ce que j’ai appelé une abstraction du social.
Les politiques, les experts, les économistes, les hauts fonctionnaires, mais aussi les journalistes, répétant à longueur de journée leurs mantras sur le pouvoir d’achat, la science, le principe de réalité économique, dessinent un réel totalement étranger au concret quotidien du peuple. Dès lors le pouvoir n’est plus irrigué par la puissance populaire. Dès lors il s’étiole. De même, la puissance populaire n’est plus canalisée par un pouvoir par lequel elle ne se sent plus représentée. D’où les soulèvements en cours et, plus encore, à venir. Indices de ce que Vilfredo Pareto nommait : la « circulation des élites » advenant chaque fois qu’une époque prend fin. Puis-je le rappeler en citant Saint Thomas d’Aquin : « omnis auctoritas a populo ». L’autorité, en son sens étymologique, est ce qui fait croître. Quand le pouvoir institué n’est plus enté dans la puissance instituante, il est renversé. C’est bien ce qui est en jeu actuellement.
On ne pourrait être plus clair...
Qu'en pensez-vous ?
Un article complet à retrouver ici.
_Un décryptage partagé par Alexis
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