Glâner sur le web ... et posant question, naturellement.
Belle lecture et bravo à son auteur !
L’expérience sensible
L’espace public n’apparaîtrait plus comme un lieu de rencontre et
d’échange, mais comme un espace de menace mutuelle. L’aspect des villes
reflèterait ainsi la grande peur cachée qu’ont leur habitant de s’exposer.
Autrement dit, notre époque traverse une crise majeure de l’habiter, une
fragilisation d’un rapport existentiel à l’espace. Les grandes sphères
collectives ont éclatées sous l’effet de la mondialisation économique et
nous assistons aujourd’hui au repli sur des micro-sphères, des bulles
individuelles.
Désormais, il ne suffit plus simplement de dire que l’accroissement de
la vision intime du monde a conduit à considérer le domaine public comme
dénué de sens et de valeur. Il s’agit aussi de constater qu’en délaissant
le domaine public, qu’en abandonnant aux politiques et aux urbanistes,
nous nous sommes rendus incapables d’être des acteurs de la ville, que
cette dernière a cessé d’être un espace de protection et d’émancipation et
que, de fait, nous y sommes devenus beaucoup plus vulnérables.
Cette vulnérabilité se traduit bien plutôt par des pratiques, des
dispositifs et des programmes contribuant à créer des espaces inoffensifs,
sécuritaires, du moins susceptibles de neutraliser les risques du contact
social.
Logique de contrôle
Aujourd’hui, tout dans l’espace urbain – y compris les espaces semi-
privés, doit pouvoir faire l’objet d’une surveillance. Caméras,
distributeurs de billet, portillons de métro, parcmètres, sont des sources
d’informations possibles. Ces technologies de la tracabilité citadine
sont là encore sous-tendues par l’idée que le contact social est plus une
menace qu’une ressource. L’espace urbain doit être neutralisé.
C’est oublier que la visibilité des hommes entre eux est une dimension
essentielle de la liberté politique. Etre libre, comme le rappelle Arendt,
c’est s’insérer dans un monde commun par la parole et par l’action – ou
plutôt par les paroles et les actions, qui dans leur pluralité, dans leur
non coïncidence, constituent le domaine public comme lieu du différend et
de la dispute.
Redonner au corps une place centrale
L’espace public n’est pas une espace de rencontre mais un espace
transitionnel et transactionnel, constitué de flux. On comprend donc que
la question de la mobilité soit placée aujourd’hui au centre des débats
sur la ville. Nous ne devons pas oublier que le corps du citadin est le
capital le plus précieux de l’urbanisme. Une ville n’est pas une chose que
l’on peut exclusivement concevoir et représenter, c’est d’abord un univers
que l’on perçoit et dont on fait expérience avec tous se sens. Et cette
expérience sensible est centrale dans la compréhension du fait urbain.
La sensibilité est ainsi un mode de connaissance. La ville sensuelle
n’est donc pas simplement la ville agréable et bonne à vivre. C’est aussi
celle qui, par la qualité et les propriétés objectives de ses espaces,
permet aux citadins de développer leur sensibilité et leurs compétences.
C’est celle qui nous rend capables de la comprendre et de participer à sa
transformation.
© Philippe Simay, philosophe, maitre assistant à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint Etienne. Directeur de Programme au Collège International de Philosophie.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire